Abandon de poste & présomption de démission


Aujourd’hui, on parle de la présomption de démission suite à un abandon de poste. Cette mesure est passée dans la loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi » et est précisée par le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023.

Déjà, on constatera que la lutte pour le plein emploi passe par présumer la démission des salariés. Même si l’intention est louable, je ne suis pas certain que ce soit le bon levier à actionner pour atteindre cet objectif. Alors, regardons quand même un peu les chiffres.

Bon, ce seront des estimations, car j’ai les chiffres du ministère du travail du 1er semestre 2022, et ceux de la DARES sont ceux du 3e et du 4e trimestre, soit le second semestre. Donc, mes petits calculs ne reflètent pas la réalité, et ce n’est pas le but, je veux juste faire des rapports de proportionnalité pour voir un peu l’impact de cette mesure dans la lutte pour le plein emploi.

Selon l’INSEE, il y avait 30,1 millions d’actifs en 2021, dont 2,4 millions étaient au chômage. Donc 30,1 – 2,4 = 27,6 millions d’employés.

Et selon la DARES, au 4e trimestre 2022, il y a eu 251 700 licenciements en France métropolitaine hors intérim, agriculture et particuliers employeurs, soit 11,4 % de moins que le trimestre précédent.

Le ministère du travail, quant à lui, nous dit qu’il y a eu 173 000 licenciements pour faute au 1er semestre 2022, dont 123 000 pour abandon de poste, soit 71 %, ce qui est énorme !

Dans un souci d’honnêteté, je vais diviser le nombre d’actifs qui ont un emploi par deux, pour faire une « pseudo » correspondance, qui, je le répète, ne reflétera pas la réalité, mais aura le mérite de garder les proportions. Donc, on n’a plus 2,4 millions de chômeurs, mais 1,2 million.

Donc, toutes proportions gardées, et avec des chiffres qui se chevauchent d’une année à l’autre, on aurait donc 13 800 000 actifs avec un emploi sur un semestre et 1 200 000 chômeurs. Ainsi que 474 706 licenciements toutes causes confondues sur un semestre aussi, dont 173 000 pour faute grave, parmi lesquels 123 000 pour abandon de poste.

De tout ça, si on fait les calculs :
474 706 * 100 / 1 200 000 = 39,5 % des chômeurs sont des licenciés. Disons 40 %, presque la moitié des chômeurs. Effectivement, dans le cadre du plein emploi, agir sur les licenciements semble être intéressant.

Mais dans le détail, on constate que :

123 000 * 100 / 1 200 000 = 10,25 %
des licenciés pour faute le sont pour abandon de poste.

Alors, on l’a dit tout à l’heure, 71 % des licenciements pour faute le sont pour abandon de poste. Je peux comprendre que l’on se dise qu’il faille lutter contre l’abandon de poste, dit comme ça. Mais lorsque ces 71 % ne représentent que 10 % des chômeurs, en quoi cela va-t-il jouer en faveur du plein emploi ? Et en quoi cela constitue-t-il une mesure urgente ?

J’ai cherché dans les documents d’élaboration de la loi, ça a dû intervenir en amendement à un moment donné, car dans l’exposé des motifs, on parle surtout de manque de qualification :
« C’est le cas, par exemple, dans le secteur sanitaire, dans l’industrie ou les transports, où infirmiers, techniciens et conducteurs manquent massivement, la formation initiale et continue n’étant pas en capacité de répondre à court terme à la demande ».

Et dans l’article 4 initial, on parlait surtout de formation.
Donc va comprendre, Charles.

Tu me diras, c’est toujours 10 % de pris, mais, lorsqu’on sait que l’employeur n’est plus obligé de te payer si tu ne viens plus. Sans compter que la réaction bien naturelle du « s’il veut me faire chier, je fais pareil », c’est souvent aussi que dans ce cas de figure, le solde de tout compte et l’attestation Pôle emploi mettent aussi vachement longtemps à arriver. Donc pendant plusieurs mois, le salarié n’a rien.

Alors bien sûr que dans le lot, il y a des escrocs qui se sont levés un matin en se disant « trop la flemme, j’y vais plus ». Mais dans l’immense majorité des cas, quand on arrive à un abandon de poste, c’est qu’il y a un vrai problème derrière. Et là, on ne résout pas le problème, même pas en cauchemar.

Bref !

Donc le nouvel article L1237-1-1 du Code du travail nous dit que :

« Le salarié […] mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste […] dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai ».

Et l’article R1237-13 nous dit que ce délai ne peut être inférieur à 15 jours. Mais aussi que le salarié peut justifier de cette absence pour :

  • des raisons médicales ;
  • l’exercice du droit de retrait ;
  • l’exercice du droit de grève ;
  • le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ;
  • la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.

Donc voilà, des mesures oui, mais pour faire quoi ?

Allez, merci et à la semaine prochaine.


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