Arme par destination


Le concept d’armes par destination commence à être un peu connu. On sait qu’un objet utilisé pour attaquer quelqu’un peut être qualifié d’arme par la justice et donc être une circonstance aggravante des faits de violence. Malgré cela, beaucoup trop de gens encore s’imaginent que l’objet doit forcément être contondant ou que les dégâts doivent être très graves pour que soit reconnue l’arme par destination. Et ça, c’est un point qui reste problématique, aussi bien pour les conséquences judiciaires pour nous tous; que pour concevoir des armes de défense dans le cadre de la self-défense.

Définition légale

Mais parfois, le concept de destination peut être source de quiproquo, donc on va faire le point en commençant par le commencement : définition d’une arme et par suite d’une arme par destination. Il s’agit de l’article 132-75 du code pénal :

est une arme tout objet conçu pour tuer ou blessé`

C’est on ne peut plus clair, tout objet conçu pour tuer ou blesser, c’est ce qu’on appelle une arme par nature.
Elles étaient classées en catégories de 1 à 8 jusqu’à la réforme de 2012. Il n’en reste plus que quatre : A, B, C et D.
La catégorie A : matériel de guerre et armes interdits à l’acquisition.
Fun fact : dans un arrêté du 12 février 2021, l’État a déclassé toute une série de matériel de guerre d’avant 1946, dont des chars.
AMX 50, chars Paton Américains et pas mal de matériel russes. Ces objets sont donc devenus accessibles à des particuliers.
La catégorie B : armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention.
La catégorie C : armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention.
Et la catégorie D : enregistrement ou acquisition et détention sont libres, donc les armes blanches.
Revenons à notre article 132-75:

Tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer, ou qu’il est destiné par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer.

Dans ce deuxième alinéa, le mot « destiné » peut laisser à penser que les armes par destination sont des objets dont on s’équipe pour ultérieurement s’en servir pour blesser ou tuer en prévision d’une rencontre qui pourrait éventuellement mal tourner, par exemple.

Le fait de transporter un objet, dans le contexte d’une rencontre de deux groupes sur un terrain vague, par exemple, peut laisser à penser qu’il va servir d’arme, ce qui fait de lui une arme par destination dans le sens où il n’a pas encore servi. Dans cet exemple, si nos gars ont des clefs à molette et des tournevis, ce n’est pas pour bricoler la 309 ! Ici, c’est l’intention criminelle qui est prise en compte.

Dans une affaire où les objets n’ont finalement pas servi d’arme, mais où on l’a supposé en premier, la Cour de Cassation disait:

Monsieur Y, interpellé par les policiers avec l’argent dérobé et une cagoule, ne conteste pas les faits de vol commis dans le bureau de change. Il soutient seulement que le fait qu’il fut muni d’une masse et d’un tournevis dans la main et que son complice, pénétrant dans les lieux, se trouvait porteur d’un pied de biche retrouvé dans le véhicule BMW, ne constitue pas la circonstance de vol avec armes, car il s’agissait uniquement d’outils destinés à forcer les portes et qu’ils n’en ont pas fait usage, ni utilisé pour menacer. Mais le fait que des outils soient destinés à forcer des portes n’exclut pas que ces outils puissent aussi servir d’arme.

Tu vois, c’est aussi circonstancié, il n’y a pas forcément besoin d’acte matériel.
Dans notre article, il y a aussi la première partie de la phrase :

tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes

Il n’y a pas de sens caché, tout objet, c’est tout objet. Du cure-dent à la tronçonneuse et tous ceux dont on ne s’imagine pas qu’ils peuvent causer des dégâts. Un danger, c’est quelque chose qui peut porter atteinte à l’intégrité physique. Si je te plante un cure-dent dans les yeux, ça risque de faire mal. Si je t’attaque avec un polochon très fort et que ça te fait le coup du lapin, ce sera tout autant un délit.

Dans le cas d’une défense face à un agresseur, on souhaite rester dans les clous de la loi et c’est totalement normal. À contrario, quand on agresse avec un objet, celui-ci fait forcément peur et est donc utilisé en premier lieu pour menacer, ce qui tombe sous le coup de la loi. Comme on l’a vu, tous les objets banals, d’apparence inoffensive, peuvent être légalement assimilés à une arme dès lors qu’ils sont utilisés pour blesser. Blesser quelqu’un, malheureusement, est monnaie courante lorsque l’on cherche à se défendre d’une agression. Parce qu’il n’y a tout simplement pas d’autre moyen de faire « entendre raison » à son agresseur ou alors il faudrait que ces objets soient aptes à créer suffisamment de douleur pour lui remettre les idées en place, ou tout du moins, le décourager de te faire du mal et le calmer. Le problème étant que, dans le cas d’une agression, en fonction du degré de motivation de ton agresseur, il faudra y aller plus ou moins fort et on sait par expérience qu’une énorme douleur, si tu ne t’es pas enfui, le plus déterminé des agresseurs reviendra à la charge quand même. Juste le temps de souffler, et encore. C’est très problématique.

Self défense

C’est très problématique de se défendre avec un objet et de rester dans la légalité. Resterait la solution des armes de défense incapacitantes, mais généralement elles sont énumérées comme étant des armes et donc interdites à l’usage et au transport pour les civils (les bombes au poivre, le taser). De ce fait, même une arme capable de fournir une grosse douleur sans blesser sera soit utilisée de manière dangereuse pour calmer le plus énervé et donc finir par blesser, soit inutile face à la menace tellement le gars est motivé à te faire du mal, si elle n’est pas déployée dans une stratégie globale de fuite : gagner du temps pour réussir à fuir.

Cela dans le cas le plus extrême de l’agresseur que rien n’arrête, mais Dieu merci, la plupart du temps ce seront des pickpockets ou des racketteurs à la petite semaine qu’une bonne frayeur saura raisonner. Dans tous les cas, si il y a la qualification d’armes par destination, c’est qu’il y a eu des atteintes à l’intégrité physique. Ce qui mesure la gravité de l’atteinte, c’est le nombre de jours d’ITT. Ce n’est pas la profondeur de l’entaille ou le nombre d’os cassés. Dès lors, même une blessure pas très grave en soi, mais qui empêche le gus de travailler plusieurs jours, entraînera des ITT.

Il faut bien comprendre que porter atteinte à l’intégrité physique de quelqu’un avec une arme, y compris par destination, est une circonstance aggravante. Ce sont des violences avec armes. Dans un contexte de self-défense, c’est ultra compliqué de trouver des objets capables de vous défendre et de ne pas être qualifiés d’armes.

Le fouet de Charles Jousseau est une super idée : il ne fait pas peur, pas de menace possible. Les coups ne sont pas perforants ni contondants, donc pas de blessure. Mais effet dissuasif : beaucoup de douleur. Malgré toutes ces qualités, évitez absolument le visage !

C’est plus dissuasif, mais il y a risque de blessure. Dans l’œil, on ne sera plus dans les clous de la loi. Même avec un objet de ce type, si pour n’importe quelle raison l’autre arrive à avoir une ITT de plus de 8 jours… Les enchères commencent à 1500 € d’amende.

C’est pour ça que, dans tous les cas de figure, il vaut mieux avoir fait le nécessaire pour rester dans les limites de la légitime défense. C’est très compliqué, mais pas impossible. Lorsque Charles dit :

Alors bien entendu, si demain je prends mon couteau en plastique, je tabasse le mec, il a peur, il a mal, il tombe parce qu’il a reçu un mauvais coup. Et si je continue, eh bien c’est une arme par destination.

Ce n’est pas correct du point de vue de la légitime défense. Si l’agresseur tombe suite à ton coup de fouet et se blesse gravement dans sa chute, tu seras responsable. Ce ne sera pas l’arme qui aura occasionné les blessures, donc destination ou pas, on s’en fiche. C’est la chute qui cause les blessures et dans ce cas, peu importe l’objet. Et si par « mauvais coup », il veut dire un coup que tu n’as pas voulu, c’est encore pire, ça devient un cas d’exclusion de la légitime défense. Dans le cas de la légitime défense, tout ce que tu fais doit être volontaire. Si jamais tu dis « je ne l’ai pas fait exprès », cela ne relève plus du cadre de la légitime défense, comme dans cet arrêt de la Cour de Cassation :

Alors que le juge doit restituer aux faits leurs exactes qualifications, que la qualification de violence volontaire suppose nécessairement l’intention de l’auteur de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui. Dès lors, en maintenant la qualification erronée de violence avec usage ou menace d’une arme suivie d’une incapacité supérieure à 8 jours tout en constatant que Monsieur I avait déclaré avoir tiré sans viser, qu’il voulait faire fuir les malfaiteurs et n’avait pas l’intention de toucher quiconque, ce qui impliquait que soit retenue une qualification de blessure involontaire exclusive de la légitime défense.

Les blessures causées involontairement rendent inopérante l’excuse de légitime défense. Il y a les éléments constitutifs donnés par le texte de loi, mais il y a aussi les circonstances posées par la jurisprudence, et ça, tout le monde ne le sait pas forcément.

Par contre, quand il rajoute :

Le premier, j’ai donné un grand coup dans la tronche, il a fait un bond et a failli tomber dans le canal, et le deuxième, dans la rotation, il l’a pris, et il a traversé la rue du canal, il a failli se faire renverser par une voiture.

Là, les circonstances ne sont pas bien établies. On ne sait pas si c’est en s’enfuyant qu’il n’a pas vu la voiture ou si c’est le coup qui l’a envoyé en direction de la voiture. Pour l’autre dans le canal, c’est un peu la même chose. Mais si le fait qu’il se retrouve, l’un sous la voiture et l’autre dans l’eau, est directement lié à ton coup de fouet, c’est toi le responsable. S’il se fait percuter ou si l’autre se noie, tu auras des problèmes.

Il y a les coups que l’on porte, mais il y a aussi les réactions qu’ils produisent.

Voilà pour les armes par destination. Même si on a fait un crochet sur la légitime défense, c’était un peu nécessaire.

Je vous remercie pour votre attention, à la semaine prochaine !

Liens:
Exclusif de légitime défense: https://www.courdecassation.fr/en/decision/5fd914c86ec2e4afbaf3afa6
Outils de braquage: https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026740106

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