L’affaire concernant Marguerite Stern, militante féministe connue pour son engagement contre les violences faites aux femmes et son rôle dans le mouvement des collages féministes, soulève des questions, comme souvent lorsque la situation semble simple; est en réalité juridiquement très technique. Ancienne membre du mouvement Femen de 2012 à 2015, elle s’est progressivement éloignée de certaines tendances du féminisme intersectionnel, ce qui lui a valu des polémiques et des critiques. Cette fois ci, elle est poursuivie pour injure publique à caractère racial, après des propos tenus lors d’un entretien diffusé sur YouTube le 16 juillet 2023. SOS Racisme a porté plainte contre elle, estimant que ses déclarations associaient un groupe de personnes à des comportements criminels, tandis que le parquet a décidé de la renvoyer devant la 17ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris pour être jugée.
L’infraction qui lui est reprochée est définie par l’article 33 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, qui punit l’injure publique en raison de l’origine, de l’ethnie, de la nation ou de la religion. Cependant, la qualification juridique des faits pose question. En effet, l’injure suppose une expression outrageante, un terme de mépris ou une invective, mais sans imputation d’un fait précis. Or, si on analyse les éléments constitutifs de ces faits, les propos de Marguerite Stern pourraient relever davantage de la diffamation, qui implique l’attribution d’un fait précis et vérifiable, plutôt que de l’injure.
Dès lors, cette affaire demande une réflexion sur la qualification juridique retenue. Comme toujours, il faut examiner les éléments constitutifs de l’injure publique et la pertinence de cette incrimination (I), avant d’analyser la possibilité d’une requalification en diffamation et les conséquences qui en découlent (II).
I. L’infraction d’injure publique et ses éléments constitutifs
L’injure publique est définie par la loi comme toute expression outrageante, terme de mépris ou invective ne contenant l’imputation d’aucun fait précis. Pour être caractérisée, elle doit répondre à plusieurs conditions juridiques. Comme pour toute infraction il s’agit de l’élément materiel (A) et de l’élément intentionnel (B).
A. L’élément matériel de l’injure publique
L’injure publique suppose des propos tenus publiquement, c’est-à-dire accessibles à un large public, ce qui est le cas d’une diffusion sur YouTube. L’article 29 de la loi de 1881 distingue l’injure de la diffamation : tandis que la diffamation impute un fait précis susceptible d’être prouvé, l’injure se limite à des termes méprisants ou offensants.
Dans le cas de Marguerite Stern, il est essentiel d’examiner la teneur exacte de ses propos. Si elle a uniquement exprimé une opinion négative sans imputer un fait précis, la qualification d’injure pourrait être retenue.
B. L’élément intentionnel et les circonstances aggravantes
Pour que l’injure publique soit constituée, l’auteur des propos doit avoir eu l’intention de tenir des propos outrageants. En l’espèce, l’incrimination repose sur l’élément aggravant de l’injure en raison de l’origine, de l’ethnie, de la nation ou de la religion, ce qui alourdit la peine encourue (jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende).
Toutefois, la défense pourrait soutenir que les propos de l’accusée relèvent davantage de la critique sociale que de l’injure raciale, et qu’ils visent une situation globale plutôt qu’un groupe de personnes défini. Cela ouvrirait la porte à une requalification.
II. La possibilité de requalification en diffamation et ses implications
Le juge pénal a le pouvoir de requalifier les faits, notamment lorsque la qualification retenue par le parquet ne correspond pas exactement à la nature de l’infraction. Ce qui nous emmêne donc a établir la distinction entre injure et diffamation (A). Pour enfin en tirer toutes les conséquences liés à la procédure à appliquer (B).
A. Distinction entre injure et diffamation
Contrairement à l’injure, la diffamation implique l’imputation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur d’une personne ou d’un groupe de personnes. Or, si Marguerite Stern a affirmé qu’un certain groupe était responsable de délits ou d’agressions, elle ne se situe plus dans le cadre de l’injure mais dans celui de la diffamation.
Cette distinction est essentielle car la diffamation ouvre la possibilité pour la prévenue d’invoquer des moyens de défense plus larges, notamment en prouvant la véracité des faits avancés (exceptio veritatis).
B. Les conséquences procédurales et stratégiques de la requalification
Si le juge venait à requalifier les faits en diffamation, cela aurait plusieurs conséquences :
- Modification des moyens de défense : la prévenue pourrait chercher à démontrer que ses propos s’appuient sur des faits avérés et des études objectives. Toutefois, cela nécessiterait des preuves solides, et la généralisation d’un phénomène à une communauté entière pourrait être problématique.
- Impact sur la peine encourue : la diffamation raciale est punie des mêmes peines que l’injure raciale (un an de prison et 45 000 euros d’amende), mais le débat judiciaire s’en trouverait modifié.
- Possibilité d’une relaxe partielle ou totale : si les éléments constitutifs de la diffamation ne sont pas réunis, ou si la bonne foi est établie (absence d’intention de nuire, prudence dans l’expression, légitimité du but poursuivi), la relaxe pourrait être envisagée. Même si ils se veulent argumentés, on peut sérieusement se demander si ces propos ont été tenus avec prudence.