Pour faire suite à cette vidéo de la chaîne PAsDuTeam, il me semblait particulièrement important de replacer les bases. En effet, en bons communistes qu’ils sont (ils ne s’en cachent pas, et ce n’est pas péjoratif), les relations du travail sont régies par la lutte des classes selon Marx. Marx et son comparse Engels n’ont à proprement parler pas inventé ce concept de conflit entre groupes sociaux distingués par leur niveau de vie. Des penseurs antérieurs, comme les historiens français de la Restauration (Augustin Thierry, François Guizot) ou les socialistes utopiques (Henri de Saint-Simon), avaient évoqué des conflits entre classes sociales, souvent en termes de noblesse, bourgeoisie et peuple. Ce qui distingue Marx et Engels, c’est leur théorisation systématique de la lutte des classes comme moteur fondamental de l’histoire, structurée autour de l’opposition entre la bourgeoisie (propriétaires des moyens de production) et le prolétariat (travailleurs vendant leur force de travail) dans le cadre du capitalisme.
Ces théories ont émergé en un temps où elles étaient nécessaires. Fort heureusement, les temps changent, pas toujours en bien — encore que cela dépende pour qui — mais ils changent. Aujourd’hui, en 2025, au tout début du XXIᵉ siècle, et depuis le premier Code du travail de 1910 (même si différentes lois éparses ont commencé à l’encadrer bien avant), le travail est encadré par la loi.
Le travail de théorisation des relations du travail fait par Marx et Engels était fondamental, remis dans le contexte de l’époque (I). Il ne faut pour autant pas oublier la marche du temps, si chère à Marx, et constater qu’aujourd’hui bien des choses ont changé et que les employé·es doivent se saisir de leur pouvoir en tant qu’agents sur le marché du travail (II).
I) La théorie marxiste
A) L’état de l’emploi en 1840
Dans les années 1840, période où Karl Marx développe ses théories, l’emploi en Europe, notamment en Angleterre et en France, est marqué par la révolution industrielle. Les conditions de travail sont précaires : des journées de travail de 12 à 16 heures, des salaires très bas, et l’absence de protection sociale. Les ouvriers, majoritairement issus des campagnes, affluent vers les usines, créant une main-d’œuvre abondante et bon marché. Les statistiques de l’époque, bien que limitées, estiment que dans les grandes villes industrielles, comme Manchester ou Paris, des dizaines de milliers d’ouvriers travaillent dans des conditions insalubres, souvent pour des salaires ne permettant pas de subvenir aux besoins de base (voir les travaux de Louis-René Villermé ou de Friedrich Engels, « The Condition of the Working Class in England »-1845). Les enfants et les femmes, employés en grand nombre, représentent une part importante de la main-d’œuvre, parfois jusqu’à 50 % dans certains secteurs comme le textile.
Les négociations sur les salaires sont inexistantes. Les employeurs, bénéficiant d’un rapport de force déséquilibré, imposent unilatéralement les rémunérations, souvent à la baisse en raison de la concurrence entre travailleurs. Les premières formes d’organisation ouvrière, comme les sociétés de secours mutuel, émergent timidement, mais elles sont loin de permettre des négociations collectives structurées. Le nombre d’employés varie selon les secteurs, mais l’industrialisation concentre des milliers de travailleurs dans les manufactures, mines et chantiers, sans cadre juridique pour encadrer leurs conditions de travail.
B) La lutte des classes
La théorie marxiste de la lutte des classes découle directement de ces conditions d’exploitation. Marx considère que l’opposition entre la bourgeoisie, détentrice des moyens de production, et le prolétariat, qui vend sa force de travail, est le moteur de l’histoire. La lutte des classes naît de l’inégalité structurelle : les ouvriers, aliénés par des salaires insuffisants et des conditions inhumaines, s’organisent pour revendiquer de meilleurs droits. Cette lutte prend la forme de grèves, de pétitions, et, plus tard, de syndicats, bien que ceux-ci soient encore embryonnaires dans les années 1840.
Cependant, cette lutte a des limites. D’une part, la répression étatique et patronale est forte : les grèves sont souvent illégales, et les ouvriers risquent licenciements ou emprisonnements. D’autre part, la division interne du prolétariat, notamment entre travailleurs qualifiés et non qualifiés, freine une action unifiée. Enfin, Marx souligne que la lutte des classes, bien qu’essentielle, ne peut à elle seule renverser le capitalisme sans une révolution structurelle, idée qu’il développera plus tard dans Le Capital.
II) Le droit du travail en France en 2025
A) La régulation des salaires et des contrats de travail
En 2025, le droit du travail en France est fortement encadré par l’État, garantissant une protection minimale aux salariés. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est fixé par décret gouvernemental, ajusté annuellement en fonction de l’inflation et du pouvoir d’achat. En janvier 2025, le SMIC brut horaire est d’environ 11,65 euros, soit environ 1 766 euros brut mensuels pour 35 heures hebdomadaires. Cette régulation vise à éviter l’exploitation salariale observée à l’époque de Marx.
Les contrats de travail, quant à eux, sont des contrats dits « nommés », c’est-à-dire strictement encadrés par le Code du travail. Les principaux types de contrats (CDI, CDD, contrat d’intérim) sont soumis à des règles précises concernant leur durée, leur rupture et les droits des salariés (congés, protection sociale, etc.). Par exemple, un CDD ne peut excéder 18 mois dans la plupart des cas, et sa rupture prématurée par l’employeur donne droit à des indemnités. Cette réglementation, renforcée par les conventions collectives et les accords de branche, vise à équilibrer le rapport entre employeurs et salariés, contrairement à la liberté contractuelle absolue des années 1840.
B) Le marché du travail
Le marché du travail en France en 2025 fonctionne comme un marché économique, où l’offre (les travailleurs) et la demande (les employeurs) se rencontrent. Cependant, ce marché est régulé par des normes juridiques et des institutions comme Pôle emploi ou les syndicats. Les employés disposent de droits leur permettant de refuser ou de quitter des emplois toxiques, c’est-à-dire ceux caractérisés par du harcèlement, des conditions de travail dégradantes ou une absence de respect des obligations légales. Par exemple, un salarié peut saisir les prud’hommes en cas de harcèlement moral ou exercer son droit de retrait si sa santé est menacée.
Pour se faire respecter, l’employé doit connaître ses droits et, si nécessaire, s’appuyer sur des représentants du personnel ou des avocats spécialisés. Refuser un emploi toxique peut être une stratégie, mais elle nécessite une certaine sécurité financière ou un accès à des formations pour se réorienter. Quitter un emploi toxique est facilité par la possibilité de démissionner avec préavis ou, dans les cas graves, de prendre acte de la rupture du contrat aux torts de l’employeur, ce qui peut ouvrir droit à des indemnités. Toutefois, le marché reste concurrentiel, et les salariés les moins qualifiés peuvent hésiter à refuser un emploi par crainte du chômage, soulignant une certaine persistance des rapports de force.
La théorie marxiste, ancrée dans les réalités brutales de l’emploi en 1840, pose les origines de la lutte des classes, limitée par la répression et la division des travailleurs. En 2025, le droit du travail français, par la régulation des salaires et des contrats, ainsi que par les mécanismes de protection des salariés, atténue les déséquilibres dénoncés par Marx. Toutefois, le marché du travail reste un espace de tensions, où les employés doivent activement défendre leurs droits pour éviter les abus, prouvant que, si les conditions ont évolué, les enjeux de pouvoir persistent.